Le village est-il l’avenir des villes ? La crise du coronavirus est le déclencheur d’une prise de conscience pour rééquilibrer nos territoires ruraux qui se vident depuis des décennies au profit de métropoles mondialisées. Il faut dire que la campagne apparaît comme le maillon faible avec de nombreuses carences : désertification, emplois limités, infrastructures déficientes, rigidités locales, agriculture en péril, population vieillissante, projets destructeurs…
Nombreux sont les économistes, les intellectuels et les décideurs à imaginer l’avenir du territoire français. Parmi eux, certains se penchent sur le futur des campagnes, de leurs villages et petites villes. Un retournement est-il possible ? Souvent le retour à la campagne est idéalisé, avec une réalité voire une désillusion bien loin de l’utopie imaginée. Depuis un an, on observe cependant un regain d’intérêt pour les villes moyennes. Se transmettra-t-il aux villages et campagnes ? Faudra-t-il une révolution pour que les populations, notamment « les 20 % qui transforment la France » pour reprendre le titre du dernier livre de Monique Dagnaud et Jean-Laurent Cassely aux Editions Odile Jacob, retournent à la campagne et transforment la France ? Ces derniers mois, six nouveaux livres tentent de répondre à ces questions. Voici une présentation par ordre de sortie de ces livres.
Anthony Cortes, journaliste originaire d’un petit village des Pyrénées-Orientales, traite régulièrement de sujets portant sur le monde rural. Son livre « Le réveil de la France oubliée: Et si notre avenir était dans les villages ? » (Editions du Rocher, 168 pages, parution le 3 mars 2021, 14,90 euros, en vente sur Decitre.fr) sonne l’heure du sursaut pour nos campagnes désertées. Face à des commerces qui ferment, des services publics qui se raréfient, agriculteurs, ouvriers, employés, enseignants, retraités… résistent. Ils investissent le champ politique et pensent la ruralité de demain. Dans cette France oubliée, des initiatives, des projets, émergent, souvent hérités de l’ère paysanne et du mouvement des Gilets jaunes. C’est le retour de l’autogestion : relocaliser, favoriser les enjeux écologiques et le circuit-court, regrouper les atouts de communes voisines, créer des services ambulants (dans le domaine alimentaire, médical ou culturel), reprendre les écoles fermées par l’Etat, réinventer une démocratie locale… Pour mener à bien son enquête, Anthony Cortes a sillonné la France et interrogé Annie, Didier, Marine, Mickaël… sur leur vision de la ruralité, leur engagement et leurs espoirs.
Interview d’Anthony Cortes par les Éditions du Rocher en février 2021
Nicolas Hazard, investisseur dans l’économie sociale et solidaire et fondateur en 2017 de la manifestation « The Village » qui a lieu chaque année dans la cité médiévale de Saint-Bertrand-de-Comminges, vient d’écrire « Le bonheur est dans le village, 30 solutions qui viennent de nos campagnes » (éditions Flammarion, 224 pages, paru le 3 février 2021 , 16 euros, en vente sur Decitre.fr). Ce livre regroupe trente parcours de vie de « gens ordinaires », qui développent des solutions concrètes aux problèmes de notre société, parfois toutes simples, et qui fonctionnent déjà. Ces success stories ont pour toile de fond la France de la ruralité, notamment occitane. Elles dessinent un avenir et prouvent que nous pouvons tous, à notre échelle, être acteurs du changement. Par exemple Tulipe, diplômée des Arts Déco, a quitté Paris et le monde du luxe pour devenir une boulangère dans les Hautes-Pyrénées. Ou encore Michel, maire dans le Cantal, qui a réussi à doubler la population de sa commune en quelques années et à y attirer de jeunes couples. Le livre montre que l’espace, le temps et la nature retrouvés sont une condition de la liberté, de la coopération et de l’innovation sociale véritable. « Les campagnes ne sont pas des boulets que l’on se traîne » selon Nicolas Hazard qui démontre que l’esprit de village est un maillon indispensable à notre bien-être à tous en redonnant du sens à sa vie. Selon lui, la revanche des campagnes va s’opérer sous l’effet d’une « myriade d’initiatives qui, en se multipliant, feront basculer le système ». Le changement viendra d’en bas et non des grandes décisions venues d’en haut. La multiplication d’oasis, partout sur le territoire, inspireront et créeront un vrai mouvement de fond.
Interview de Nicolas Hazard sur France Info en janvier 2021
Vincent Grimault, journaliste à Alternatives Economiques, apporte son point de vue avec son livre « La Renaissance des campagnes – Enquête dans une France qui se réinvente » (Editions du Seuil, 309 pages, paru le 18 juin 2020, 21 euros, en vente sur Decitre.fr). Spécialiste des dynamiques territoriales, et plus spécifiquement les campagnes, Vincent Grimault nourrit sa réflexion de nombreux reportages sur le terrain. Son enquête révèle le nouveau visage des campagnes françaises, loin des clichés sur la France périphérique. Par exemple dans la vallée de la Drôme, ses villages y reprennent vie, des entreprises s’installent et l’offre culturelle foisonne grâce à l’arrivée de nouveaux habitants. En Vendée, la dynamique est industrielle. Là, ce sont surtout les locaux de longue date qui ont pris les choses en main et font pousser des usines. A Albi aussi, de jeunes entreprises innovantes se développent à l’ombre de Toulouse. La situation est plus compliquée à quelques centaines de kilomètres de là, dans le Cantal. Mais les élus n’ont pas désarmé et transforment les handicaps d’hier – une faible population et le poids du secteur agricole – en atouts pour l’avenir : qualité de vie, montée en gamme agro-industrielle. Même dans le massif vosgien, qui surplombe une région Grand-Est fragile, tout ne va pas si mal : on y mise sur le développement durable et le tourisme vert.
Claire Desmares-Poirrier est autrice, paysanne, libraire, activiste de la ruralité positive. Dans son livre « L’exode urbain : manifeste pour une ruralité positive » (Terre Vivante Editions, 111 pages, paru le 25 août 2020, 10 euros, en vente sur Decitre.fr), elle raconte son changement de vie. Elle a quitté le monde la communication politique pour construire avec son mari Adrien un lieu agri-culturel en Bretagne. Au sud de l’Ille-et-Vilaine ils produisent des plantes à infusion en agriculture biologique (Amanteverte.fr) et accueillent le public dans leur café librairie « La Table de l’Amante Verte ». Claire Desmares-Poirrier partage ses réflexions et son parcours d’ancienne urbaine, en quête d’un projet de vie qui fait sens et de Nature. Mais loin d’elle l’idée d’un retour en arrière. Ici, la ruralité est moderne, connectée à la ville, dans une dynamique coopérative et intégrative des espaces de vie. C’est l’exode 2.0. Celui qui a pour but de générer un regain d’intérêt envers les campagnes, en changeant le regard qui est porté sur elles. Grâce à ce livre, tous ceux qui ne parviennent pas à se libérer de leurs questionnements trouveront ici l’impulsion nécessaire pour initier leur révolution. Ils trouveront les clefs pour réfléchir à un projet de vie plus en accord avec leurs principes, plus à l’écoute de leurs réels besoins. Un nouveau départ est possible. Il suffit, parfois, de simplement changer notre angle d’observation.
Eric Charmes, directeur de recherche à l’école de l’aménagement durable des territoires ENTPE à Vaulx-en-Velin, a écrit le livre « La revanche des villages – Essai sur la France périurbaine » (Editions du Seuil, 105 pages, paru le 3 janvier 2019, 11,80 euros, en vente sur Decitre.fr). Pour lui, l’opposition entre villes et campagnes est dépassée. La campagne n’est pas celle qu’on croit. Attirés par le rêve de « la ville à la campagne », les périurbains représentent aujourd’hui un quart de la population française. Dans certaines villes, ils sont même devenus majoritaires. Cette révolution silencieuse transforme les paysages des campagnes, où dominent pavillons, centres commerciaux et zones d’activité. Elle bouleverse aussi la géographie sociale de la France : bien souvent, les classes populaires résident dans le centre, alors que les classes moyennes se retrouvent dans les couronnes périurbaines, où elles bénéficient des avantages de la ville et de la campagne. Après avoir été victimes de l’exode rural, les villages ont pris leur revanche… dans les zones périphériques. Et si le renouveau de la campagne ne résidait-il pas pour l’instant là ?
Benoît Coquard, sociologue à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) à Dijon, livre le fruit de sa longue réflexion sur les milieux ruraux dans le livre « Ceux qui restent – Faire sa vie dans les campagnes en déclin » (Editions La Découverte, 216 pages, paru le 17 octobre 2019, 19 € euros, en vente sur Decitre.fr). Tout se passe aujourd’hui comme si, d’un folklorisme à l’autre, la représentation idéalisée des communautés villageoises de « jadis » avait laissé la place à deux représentations opposées des habitants de ces espaces ruraux en déclin : soit un récit misérabiliste du style de vie des prétendus « beaufs racistes » avides de télé, d’alcool, de foot et de chasse, soit une ode à ladite « France oubliée » et « périphérique » qui incarnerait d’une certaine manière le « vrai peuple » à défendre contre les urbains des métropoles. A partir d’une enquête immersive de plusieurs années dans la région Grand-Est, Benoît Coquard plonge dans la vie quotidienne de jeunes femmes et hommes ouvriers, employés, chômeurs qui font la part belle à l’amitié et au travail, et qui accordent une importance particulière à l’entretien d’une « bonne réputation ». Parfois à rebours des idées reçues, ce livre montre comment, malgré la lente disparition des services publics, des usines, des associations et des cafés, malgré le chômage qui sévit, des consciences collectives persistent, mais sous des formes fragilisées et conflictuelles. L’enquête de Benoît Coquard essaie d’en restituer la complexité.